» The Montluc Prize themes of resistance and freedom are at the heart of the Tibetan political struggle. How wonderful that Tsering Dondrup’s novel Tempête rouge (Rlung dmar ‘ur ‘ur) is now accessible to French readers. May they be inspired in their reading! My commendations to the prize committee for an excellent choice! » Carole MacGranahan, professeure d’anthropologie culturelle à l’université de Boulder, Colorado
Discours de Françoise Robin, traductrice :
Tsering Dondrup partage au moins deux points communs avec le lauréat du prix Résistance et liberté de l’an dernier, le Kurde S. Demirtas. D’une part, ni l’un ni l’autre n’ont de pays dont ils peuvent se dire pleinement ressortissants, ce qui a un fort impact sur leur vie et, plus largement, sur leur œuvre. Le Kurdistan est écarté entre 5 pays différents, et le Tibet a été « incorporé » à la République populaire de Chine il y a plus de soixante ans. Tempête Rouge narre d’ailleurs sous forme romanesque, sur le mode tragicomique, cette « incorporation », du point de vue tibétain. L’autre point commun de ces deux auteurs est que ni l’un ni l’autre n’ont pu se déplacer pour recevoir leur prix. S. Demirtas était et est toujours emprisonné. Tsering Dondrup, lui, n’est pas à proprement parler incarcéré. S’il peut se déplacer sur le territoire chinois, les autorités refusent de lui délivrer un passeport, depuis justement la publication de Tempête Rouge. On doit d’ailleurs accorder au gouvernement chinois et au Parti Communiste Chinois et à son appareil de surveillance sophistiqué et omniprésent le mérite d’avoir les premiers reconnu les qualités de Tempête rouge. En interdisant rapidement ce roman de 300 pages, ont-ils fait autre chose que de signaler tout son intérêt historique ? Comme souvent dans les régimes dictatoriaux, la censure agit comme caisse de résonance à ce qu’elle a pour but de faire taire.
Non contente d’avoir du flair, cette censure se distingue par son efficacité. Aussi, je ne peux même pas vous lire un message de la part de Tsering Dondrup. En effet, en République Populaire de Chine, ce livre a été simplement effacé. Il ne peut être cité dans les anthologies de l’auteur, ni dans les études qui lui sont consacrées. Je ne peux même pas le mentionner dans mes communications à distance avec lui. Tsering Dondrup ignore à ce jour que qu’il a reçu le prix Montluc dont le complément du nom, « Résistance et liberté », est déjà trop subversif pour être mentionné sur les réseaux sociaux.
On sait qu’il n’est pas pertinent, utile ou judicieux de mettre en concurrence les oppressions. Je ne vais donc pas prétendre que Tsering Dondrup mérite « plus » ce prix qu’un autre écrivain, sous prétexte qu’il a payé son audace pour avoir abordé pour la seule fois dans l’histoire de la littérature tibétaine, les années 1950 et la perte d’indépendance du Tibet, et qu’il paye toujours le prix de son courage littéraire. Mais il mérite ce prix, c’est certain, et je vous remercie du fond du cœur d’avoir été sensibles à son propos, son écriture et son audace. Tsering Dondrup est un vieil et cher ami depuis près de vingt ans. Je ne pense pas usurper sa parole en disant à sa place que l’obtention d’un prix si prestigieux et dont les maîtres mots sont ceux de « ‘résistance » et « liberté », est un couronnement rêvé pour Tempête rouge. Puisse cette récompense être comme une stèle à la mémoire des dizaines, des centaines de milliers des Tibétains toujours anonymes, victimes d’un pan de l’histoire dont l’évocation reste encore interdite par le pouvoir chinois, soixante ans après les faits.
Discours de Françoise Robin, traductrice de Tempête rouge, de Tsering Dondrup, pour la remise du prix littéraire Montluc Résistance et Liberté, le 4 mars 2020.